Espèces ou sous-espèces ?

Qu’est-ce qu’une espèces ?

Il existe de nombreux concepts d’espèces dans la littérature scientifique, le plus connu étant le concept biologique de l’espèce (BSC). Celui-ci stipule qu’une espèce est un ensemble d’individus qui peuvent se reproduire entre eux, et engendrer une descendance viable et féconde. Mais cette définition se heurte à de nombreux problèmes (espèces fossiles, espèces rares, etc.). De ce fait, d’autres concepts d’espèce sont régulièrement utilisés : phylogénétique (PSC), reconnaissance, écologique, etc. Au total, c’est plus d’une vingtaine de concepts différents qui ont été proposé par les scientifiques. Certains se contredisant, et participant au flou général derrière ce terme pourtant central en taxonomie.

Nous prenons parti, et considérons ici, que ce problème est en réalité résolu avec les travaux du biologiste Kevin De Queiroz. Il fait la différence entre la définition théorique du concept d’espèce, et les critères pratiques utilisés pour délimiter deux espèces. De Queiroz considère deux individus, comme appartenant à des espèces distinctes, si le réseau généalogique qui les unit montre une structure faisant intervenir une spéciation. Autrement dit, une espèce est une lignée (ou branche) d’individus qui évolue indépendamment d’autres lignées d’individus dans le réseau généalogique. Ainsi pour savoir si deux individus font partie de la même espèce, il suffit, en théorie, de vérifier leur généalogie sur des milliers (ou millions) de générations. Or, ceci est impossible dans la pratique. C’est là qu’interviennent les concepts d’espèces cités précédemment (BSC, PSC, ect.) qui, pour De Queiroz, sont en réalité des critères pratiques qui permettent de dire si deux individus font partie de la même espèce.

Lorsque l’évènement de spéciation n’est pas assez long, le réseau généalogique n’est pas encore totalement résolu. Une deuxième branche émerge du réseau, mais il est difficile de savoir si les individus de cette branche vont continuer à évoluer indépendamment de la branche principale ou s’il y aurait, à un moment, la réunification des deux branches (car la reproduction entre deux individus provenant des deux branches est toujours possible : l’isolement reproducteur n’est pas encore atteint). C’est la zone grise : un moment de flou évolutif où il est difficile de trancher en faveur du fait qu’il y a deux espèces distinctes ou une seule ; seul le futur nous le dira.

Shéma explicatif du phénomène de spéciation

Les taxonomistes font une hypothèse sur le futur de ce réseau généalogique : les deux branches vont continuer à évoluer indépendamment (deux espèces), ou les deux branches vont fusionner (une espèce avec deux populations).

Comment distinguer deux espèces lorsqu’on se trouve dans cette zone grise ?

Les critères d’espèces vont pouvoir aider les scientifiques à trancher en faveur de la première hypothèse (deux espèces distinctes) ou de la seconde (une seule espèce). Une méthode scientifique rigoureuse pour délimiter les espèces dans ce type de cas, est d’accumuler les critères d’espèce pour prendre une décision selon la congruence des résultats de ces critères. Cette méthode s’appelle la taxonomie intégrative. C’est cette méthode qui a été utilisé par les chercheurs qui ont découvert les nouvelles espèces de poissons endémiques de l’Adour et de la Garonne ; confondues jusque-là avec d’autres espèces déjà connues. En combinant, à la fois, des résultats obtenus sur des données génétiques, morphologiques et biogéographiques (3 critères d’espèces), les chercheurs ont choisi l’hypothèse qui semblait la plus probable : des branches bien distinctes et indépendantes dans le réseau généalogique, autrement dit, des nouvelles espèces, au vu des preuves actuelles.

Malgré le fait que certaines de ces espèces endémiques des bassins de l’Adour et de la Garonne peuvent s’hybrider avec d’autres espèces et avoir une descendance fertile, les autres critères d’espèce ont tendance à prouver que sans l’intervention de l’Homme les branches généalogiques n’avaient aucune raison de se reformer. Dans un futur lointain, on serait arrivé à un isolement reproducteur.

Références :

De Queiroz, K. (1998). The General Lineage Concept of Species, Species Criteria, and the Process of Speciation. D. J. Howard & S. H. Berlocher (eds.), Endless Forms: Species and Speciation. Oxford University Press, 57‑75.

De Queiroz, K. (2007). Species Concepts and Species Delimitation. Systematic Biology, 56(6), 879‑886. https://doi.org/10.1080/10635150701701083

Mayden, R. L. (1997). A hierarchy of species concepts : The denouement in the saga of the species problem. M. F. Claridge, H. A. Dawah & M. R. Wilson (eds.), Species: The units of diversity, 381‑423.